Petit Traité Philosophique du Clivage Gauche-Droite
Quel est le sens profond de la distinction entre la gauche et la droite ? Quelles sont leurs valeurs respectives ? Pourquoi voter à gauche ou à droite ? Dans son livre « On ne parle pas de politique à table ! », Sylvain Bosselet explique pourquoi la vie politique est un vrai champ de bataille. Extraits (1/2).
Aux racines des deux pôles politiques, l’état de nature est posé en hypothèse. La gauche l’interprète positivement, comme bonheur originel, liberté absolue, égalité et absence de propriété. La droite le perçoit négativement, comme malheur initial, guerre permanente et aliénante, égalité ressentie comme injuste, et impossibilité de jouir de ses biens.
Le contrat social et l’état de société qui s’ensuit engendrent selon la gauche une crise provisoire, mais nécessaire, pour la droite un consensus salvateur et définitif, à maintenir à tout prix. La gauche attend un autre état à venir, radicalement différent (révolution), à nouveau heureux, avec une liberté absolue (par autolimitation) et une égalité de droit, voire de fait. La droite n’attend pas un avenir radicalement différent, qu’elle juge utopique. Elle préfère conserver ses acquis concrets et poursuivre en paix l’enrichissement de l’homme, en travaillant à transformer la nature à son avantage.
À partir de ce principe, la gauche et la droite interpréteront très différemment les thèmes politiques, qui n’ont souvent de commun que le nom. L’application de leurs présupposés antagonistes à ces thèmes engendre des valeurs différentes.
La liberté – Selon la gauche, la liberté réside dans un rapport interne et spirituel à la loi. Elle correspond à une sensation originaire de l’état de nature. L’état de société la bride momentanément, mais elle reviendra grandie à l’avenir, comme adéquation avec soi-même, la nature et les hommes. En revanche, la droite voit dans la liberté une possibilité externe et physique, qui comporte comme condition la sécurité (de déplacement), et s’applique principalement aux domaines du commerce, de l’enrichissement, etc., où l’État ne doit pas se montrer oppressant.
La sécurité – D’après la gauche, la sécurité se trouverait naturellement assurée sans les différences de richesses qui suscitent l’envie. De son point de vue, la violence est suscitée par les inégalités, ressenties comme injustes. À droite, l’insécurité trouve simplement sa cause dans l’agressivité naturelle de l’homme, que la société doit sans cesse combattre. Le but est de la maîtriser grâce à des rapports de force et une hiérarchisation par le mérite. Et surtout, la sécurité demeure la condition de la liberté. Elle prévaut, quitte à restreindre occasionnellement la liberté.
L’ordre - La gauche perçoit négativement l’ordre (comme hiérarchisation). Bien qu’elle admette sa nécessité transitoire, elle peut le contester à tout moment, voire le renverser. La droite envisage l’ordre positivement, comme un rapport qui ne peut s’établir sans la sécurité.
La propriété – Fondamentalement, la gauche considère la propriété et les richesses comme mauvaises, aussi doit-elle les encadrer sérieusement par des lois, voire les abolir à terme. La droite les juge bonnes en soi. Elle cherche à les garantir par des lois adaptées et de l’ordre.
Le lien social – La fraternité, la solidarité semblent naturels et premiers à la gauche. Ces valeurs priment sur l’argent, l’ordre, la sécurité et la propriété. À l’inverse, la droite encadre spontanément le lien social dans une hiérarchie. Elle le structure avec des lois, qui se fondent sur le respect des traditions, c’est-à-dire la conservation de l’ordre durement acquis face à une nature (humaine) toujours menaçante.
La justice – La justice reçoit à son tour deux interprétations profondément opposées. La gauche la juge au nom de l’égalité (de droit, voire de fait), ou encore de l’équité selon les besoins. La droite l’évalue à l’aune de l’équité, d’après le mérite et le travail consenti, le tout dans le respect absolu du contrat social. Enfreindre ce dernier (en particulier voler) suscite une vive condamnation à droite, et appelle la répression. La gauche lui préfère souvent la prévention, pour permettre à la bonne nature en nous de s’exprimer.
Source : Atlantico.fr
Sylvain Bosselet
Sylvain Bosselet est agrégé de philosophie et docteur en psychologie. Il a dirigé un séminaire sur la critique freudienne de la philosophie au Collège international de philosophie.